Artistes manifestes. Podcast
Entretien avec la Critique d’art et chercheuse indépendante Adélie Le Guen, fondatrice du projet Artistes Manifestes
"Clélia Berthier est une artiste française sortie de l’école des Beaux-arts de Nantes en 2019. Son DNSEP a été précédé par une licence en graphisme, puis une licence et un master en Arts plastiques à l’université Rennes 2. L’artiste travaille avec du métal, du cuivre, de la mousse polyuréthane, du film étirable, du PVC, du pain, de la pâte de riz ou encore des boyaux de porcs. Souvent elle fait le choix de créer une rencontre entre deux ou trois matières qui a priori s’opposent. Cette « rencontre » est souvent rendue possible en créant une réaction chimique ou en jouant avec la capacité polymorphique de ses matières. « Je cherche les sensations, le corps à corps avec la matière ce qui m’amène à des « oxymores de forme ». Je suis dans la recherche d’une contrainte, d’un débordement, de l’événement et sa structure. » Les corrélations entre deux univers, l’un industriel et autoritaire, l’autre organique et troublant, nous entrainent vers les entrailles du chantier proches des entrailles du corps. « On va par exemple avoir une grille rigide qui va rencontrer un matériau mou, un carreau de faïence qui va être digéré par du pain, ou de la mousse de polyuréthane dans une étreinte avec un boyau donc je cherche le moment de rencontre et ce qui va me permettre d’exacerber leurs propriétés intrinsèques, respectives. Cela va jouer sur les caractéristiques de la sculpture, les formes, les densités, les textures ou même le poids. » Les Bourrelets et La Gueule pleine de dents en sont des exemples pertinents."
Capsule galerie. Film
Vidéo réalisée par Capsule Galerie dans le cadre de leur série de portraits d’artistes. Ensemble des portraits à retrouver sur leur chaîne Youtube.
Elisa Rigoulet pour FELICITÀ. Entretien
Entretien réalisé avec Elisa Rigoulet pour le catalogue FELICITÀ, exposition des félicités des Beaux-Arts de Paris et de Nantes, Novembre 2019.
Il y a dans ton travail une analogie entre les formes industrielles des chantiers de construction et les formes organiques du corps humain. Ces deux territoires sont polymorphiques, ils produisent un vocabulaire similaire, un champ lexical de l’endurance et de la résistance, mais surtout sont des métaphores à l’œuvre de la transformation ?
La capacité des matériaux à se mouvoir, à générer des moments de formes, à se transformer, que je les fais se rencontrer. La redondance de formes tubulaires est un exemple d’analogie entre le corps et l’urbain, que ce soit un tube en céramique moulé sur des standards de tubes en PVC ou de façon plus littérale le travail que je mène avec du boyau de porc. J’ai aussi beaucoup travaillé la mousse polyuréthane souple, rose et blanche, à appréhender comme une extrapolation de la représentation de la peau.
La mousse comme la peau ont une façon similaire d’absorber les impacts. Il y a une mémoire commune aux deux matières. Il me plait d’associer ce qui serait de l’ordre de l’intérieur et de l’extérieur. La définition du bourrelet, par exemple, désigne autant un morceau de chair qu’une gaine de fenêtre en caoutchouc. Les entrailles du chantier ne sont pas sans écho avec celles du corps.
Il s’agit aussi de comparer des forces de travail : l’industrie d’un côté et l’artisanat de l’autre, la technologie et l’organique, l’humain. Comment cela procède-t-il dans ton travail?
Par l’importance des matériaux que je choisis. Je les sélectionne pour leur potentiel expressif, ce qui laisse une porte ouverte à toute divagation, spéculation. Ce sont des comparaisons qui viennent à posteriori, après expérimentation, lorsque j’observe la réaction des matériaux, les formes produites. C’est aussi dû à ce rapport au « faire » que j’exploite dans mon travail. Je cherche l’expérience sensible.
POST it
POST it est une micro édition indépendante qui soutient la jeune création contemporaine. Cette revue est à l'initiative de Leila Couradin, Chloé Godefroy (critiques d'art) et Annaelle Rambaud (artiste)
Dans ce numéro spécial BOUFFE, Chloé Godefroy évoque l'exposition Chubby Club* à travers son texte À table !
* exposition que j'ai réalisé en octobre 2022, au Grand 8, lieu d'exposition de Bonus, Nantes.
ART & ESSAI
Au sujet de l'exposition dans la project room de la Galerie Art & Essai en 2016
" Cette project room présente les travaux sculpturaux et installatifs de Clélia Berthier, Darta Sidere et Paoline Prioult qui, chacune à leur manière, proposent un détournement des usages habituels
des matériaux qu’elles utilisent afin d’expérimenter le champ des possibles.
La première salle réunit Hubble, une pièce murale d’envergure de Clélia Berthier, et des propositions sculpturales en pierre de Darta Sidere.
Aisément reconnaissables, parce que familiers et issus de la sphère du bricolage,
les matériaux utilisés par Clélia Berthier sont choisis pour leurs propriétés physiques, leurs caractères plastiques : formes, couleurs, textures. Au gré de ses expérimentations, l’artiste met en
œuvre différents rapports de forces. Elle soumet ainsi aussi bien le métal, le cuivre
que la mousse polyuréthane à l’épreuve du feu dans le but de rendre visible cette exposition. Elle révèle les marques laissées par ses actions dans la matière, tout en mettant à profit les éventuels accidents, ce qui ne peut être complètement anticipé, ce qui échappe lorsque l’expérimentation prend le pas sur les intentions. Chauffés, brûlés, impactés en leur centre, les formats en cuivre de Hubble se parent ainsi de mille reflets moirés, comme autant de nébuleuses célestes, d’images aléatoires venues d’ailleurs."
Extrait du texte de l'exposition par John Cornu
303
Art contemporain et artisanat
Les collaborations fertiles
N° 182 - trimestriel
Autrice invitée : Éva Prouteau
Septembre 2024
Extrait du texte Cuisine, saveurs, cultures et terroirs par Vanina Andreani, responsable du pôle collections-expositions au FRAC
"Sculpter le comestible avec son lot d’inattendu... Les matières alimentaires malléables que
manipule Clélia Berthier, comme la pâte de riz, le pain, le beurre, et plus récemment le maïs, ont
une impermanence heureuse. Pour Pain surprise de 2023, un trépied en bois soutient un pain
surmonté d’une motte de beurre aromatisé au thym et à l’ail. La plasticité tout en rondeurs et
en reliefs bosselés du pain et du beurre suggère un paysage. Des couteaux sculptés en forme de
doigts nous invitent à manger l’œuvre joliment agencée, qui se métamorphose au gré des coups
de couteau pour totalement disparaître... Un geste destructeur mais joyeux, une célébration
qui clame le plaisir d’être ensemble en dégustant des mets simples et savoureux. Les œuvres et
les expositions de Clélia Berthier s’offrent comme des instants de partage, festifs et généreux.
Le pain est l’un des matériaux privilégiés par l’artiste. Pillow (2022) est une de ses sculptures
de pain suspendu à une chaîne, qui a cuit sur une structure grillagée. La forme malléable de
la pâte à pain s’est figée en cuisant autour de cette ossature, générant sa forme. Le visiteur est
invité à « déchirer» à même la grille ce pain brioché avec les mains, une manière pour l’artiste
d’évoquer la «cuisine futuriste » de Marinetti, pour qui l’utilisation des couverts était proscrite
pour un « plaisir tactile pré-labial».
Il s’agit de revendiquer que pour le contemporain l’épreuve de l’art est collective, relationnelle et en dehors de la marchandise. Il importe, dans cette période particulière, de penser la question du statut d’artiste et encore plus du statut d’œuvre. En dehors de la sphère marchande, nous n’avons besoin ni de l’un ni de l’autre, mais nous avons besoin d’une expérience particulière, en tant qu’intensité, avec des formes et des événements. Faire des banquets revient alors à faire des événements qui ont une forme, mais qui ne sont pas des objets et encore moins des valeurs. "
Couverture : Fanette Mellier